Interviews

LINA BOUSSAHA

Par Rédaction 04 mai 2021

Comment as-tu découvert la pratique du football ?

J’ai découvert le football par le biais de mon frère, lorsque j’étais petite. On jouait ensemble avec nos amis, au sein de notre quartier de La Plaine Saint-Denis. C’est lui qui m’a appris divers gestes techniques. Tout s’est fait naturellement, sans forcer la chose. J’ai intégré par la suite le club du RC Saint-Denis, à seulement 9 ans. Je n’y ai joué que dans des équipes de filles. Ce club était le plus proche de chez moi. C’était du football loisir, sans penser à devenir footballeuse professionnelle.

Comment ont réagi tes parents vis-à-vis de ton choix de jouer au football ?

Le football n’a jamais été un problème pour eux. Ils ont toujours été pour le fait de me laisser jouer librement. Ils ne m’ont jamais porté préjudice par rapport à ça.

Ton intégration parmi les garçons au sein de ton quartier fut elle aisée ?

Au contraire de certaines filles qui peuvent critiquées, j’ai toujours été considérée comme un garçon en quelque sorte. Je n’ai jamais été critiquée, ni mise de côté, bien au contraire on me voulait dans chaque équipe. J’ai toujours pris beaucoup de plaisir à jouer avec les plus grands que moi. Ça n’a jamais été une contrainte pour moi de jouer dans mon quartier. Je n’ai jamais eu le moindre blocage en tête, ni ressenti le moindre apriori chez mes copains. Il régnait une totale liberté, un pur plaisir.

Comment expliques-tu le fait d’avoir été « acceptée » aussi facilement ?

Peut-être par rapport à mes qualités footballistiques… Mais au-delà de la technique, on ne fait pas de différence dans un quartier, c’est toujours comme ça l’ambiance entre jeunes. Que l’on soit de telle origine, de tel sexe, on te laisse participer. Il est certain que quand on possède un bon niveau, c’est encore mieux !

Quels sont tes meilleurs souvenirs de cette époque ?

Cette bonne relation avec les garçons du quartier, le fait de pouvoir participer à des tournois, sans réelle compétition, du vrai football plaisir avec des gestes techniques et du chambrage ! En plus il y avait du haut niveau. J’ai ainsi pu perfectionner mes gestes techniques, car dans l’absolu je ne l’ai jamais réellement travaillée. Il y a plusieurs formes de techniques, mais ma technique pure je ne l’ai jamais réellement répétée.

Avais-tu des modèles chez les professionnels ?

Plus petite je ne regardais pas le football à la télévision. C’est vraiment en club où j’ai commencé à m’intéresser au football professionnel. J’ai appris à aimer regarder les tactiques, les matches plus en profondeur. Chez les garçons, j’ai très vite apprécié Cristiano Ronaldo. Chez les filles, j’appréciais Louisa Necib (ndlr : ex-internationale française, 145 sél.) dont le jeu se rapprochait le plus du mien. C’était la joueuse la plus connue en Equipe de France lorsque j’ai effectué mes premières années en club. Elle dominait le football français avec l’OL, elle est d’origine maghrébine, avec un peu mon profil, donc forcément je m’identifiais un peu à elle, sans non plus être fanatique à l’extrême.

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© Icon Sport

En 2013, tu signes au PSG. Dans quelles conditions s’est déroulée ta venue ?

C’est en participant à un tournoi régional à Clairefontaine avec la sélection du 93 que le PSG m’a repéré par le biais de Pierre-Yves Bodineau. C’est là que tout a réellement débuté. Il m’a contacté par la suite. Je me souviens encore aujourd’hui de coup de téléphone, de l’endroit où j’étais, ce que je faisais à cet instant là. J’ai rapidement compris que j’avais une réelle opportunité, que quelque part ça validait mon bon niveau. Quand j’en ai parlé à ma famille, j’ai vu qu’une telle nouvelle pouvait prendre de l’ampleur car c’était du domaine du rêve.

Bien que la section Féminine du PSG n’était pas encore aussi reconnue qu’aujourd’hui, représentait-elle quelque chose de fort malgré tout ?

Oui ! Un immense oui ! Quand on est originaire de la région parisienne, on a le PSG dans le cœur. Même s’il n’y avait pas encore de grandes structures, le club avait mis des choses en place. Ca commençait à grandir, grâce au recrutement de bonnes joueuses notamment. Un appel tel que celui là fait forcément rêver !

La décision de quitter ton club fut elle pour autant simple à prendre ?

J’étais la décisionnaire mais en prenant compte de l’avis de mes parents. J’avais un blocage car j’étais très attaché à mon quartier, à ma ville de Saint-Denis. Je suis une personne très attachée à sa famille et ses amis, très nostalgique. Je n’arrivais pas à me faire à l’idée de tout quitter. En pesant le pour et contre, j’ai sauté sur cette occasion, car je me disais que le train ne passerait peut-être pas deux fois. C’était maintenant ou jamais ! J’avais même appelé Pierre-Yves en lui faisant part de mon refus de rejoindre le PSG… Mais il n’a pas lâché et je ne peux que le remercier aujourd’hui. A bonnes doses de discussion avec ma famille, j’ai finalement accepté de signer au PSG.

Tes semaines furent ensuite rythmées par l’école et le football, n’est-ce pas trop compliqué à vivre si jeune ?

Non car c’est du plaisir de pouvoir vivre tout cela. Des personnes se lèvent très tôt pour aller travailler à l’usine ou dans les bureaux, voire même pour aller à l’école, je ne pouvais pas me plaindre car j’allais allier ma passion avec les cours. C’est vrai que ça engendre beaucoup de fatigue, mais on ne la ressentait pas vraiment. On prenait les transports entre filles, on allait à l’école entre filles, on ne vivait que des bons moments toute la journée avec mes coéquipières.

As-tu pu vivre ta jeunesse comme toute fille du même âge ?

Je n’ai jamais eu de contrainte à vivre de la sorte. Pour moi ce n’était qu’un plaisir. Rien que le fait de reparler de ces années là, ça me donne envie de les revivre ! Même si notre emploi du temps était très chargé en semaine, nous avions un jour de repos le week-end lors duquel on décompressait. On fréquentait les centres commerciaux, on allait au restaurant ou bien faire les magasins. N’étant pas interne, j’avais tout de même cette possibilité de rentrer tous les soirs chez moi. J’avais eu la possibilité d’intégrer l’INF Clairefontaine, mais j’avais décliné car je souhaitais pouvoir rentrer chez moi tous les soirs.

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© PSG

Quels sont tes principaux souvenirs vécus lors de ta formation au PSG ?

Je me souviens de tous les matches et du plaisir pris lors des entraînements, grâce à un staff de grande qualité, que cela soit sous la coupe de Pierre-Yves mais également de Sébastien Thierry. Tous nos éducateurs étaient de bonnes personnes, qui nous ont fait encore plus aimer le club. Aller voir des matches au Parc, pouvoir m’entraîner avec la D1 Féminines, plein de choses m’ont marqué à vie ! Tout ça, c’était un rêve éveillé. Et comment ne pas parler de la véritable amitié tissée avec bon nombre de coéquipières…

Que ressentais-tu lorsque tu commençais à flirter avec le groupe professionnel ?

En fait je ne me rendais pas trop compte de ce qui pouvait arriver. Je me souviens très bien du moment où Pierre-Yves m’a appris qu’il fallait que j’aille m’entraîner avec les pros. J’avais des étoiles plein les yeux ! Moi j’étais toute petite, toute frêle… Me retrouver face à toutes ses joueuses réputées était impressionnant, mais ça me confortait dans le fait que j’avais une réelle chance à saisir. Je me souviens de mon premier entraînement comme ci c’était hier. J’avais une telle boule au ventre ! C’était Farid Benstiti le coach (ndlr : au PSG de 2012 à 2016) que j’appréciais beaucoup mais que je n’ai finalement pas eu très longtemps.

Quelle attitude avais-tu adoptée lorsque tu t’es retrouvée pour la première fois dans le vestiaire ?

J’appréhendais ! Je m’étais fait toute petite ! Je ne connaissais encore rien au monde pro. Je doutais de mes qualités techniques, car c’est un monde nouveau. Je n’osais pas du tout parler. J’avais l’impression de ne pas être face à des humaines ! Pourtant elles étaient tout à fait normales, mais toutes mes pensées étaient dues à la crainte de l’inconnu.

Comment as-tu fait pour éradiquer ce stress ?

A un moment donné, il faut se faire violence en participant à la vie de groupe. En restant de côté, ça ne peut qu’être compliqué à vivre. J’avais cette chance de connaître plusieurs filles formées au club, comme Marie-Antoinette Katoto ou bien Grace Geyoro, ce qui m’a permis de faciliter mon intégration au fil du temps. Les plus expérimentées comme Laura Georges, Laure Boulleau, Sabrina Delannoy et Jessica Houara m’ont ensuite pris sous leur coupe. Elles ont su me donner de bons conseils et me mettre à l’aise. Toutes les joueuses étaient également très sympas.

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© PSG

Quelles sont les principales différences entre les U19 Nationaux et la D1 Féminines ?

C’est un boulevard ! On passe d’un monde à l’autre, surtout sur le plan de l’intensité. Ca va beaucoup plus vite, techniquement c’est propre, tactiquement tout est précis. Ca ne rigole pas, l’entraînement c’est l’entraînement. Parfois en U19, il peut y avoir des moments de relâche dans les jeux, mais en pros ça n’existe pas.

Que représente la signature de ton premier contrat pro, le 04 mai 2017 ?

Je l’ai signé en compagnie de Patrice Lair, qui m’a apprécié dès son arrivée. C’est un coach très hargneux, qui aime mettre de l’intensité, qui adore les joueuses au comportement très professionnel et qui donnent tout. Il a vite vu que j’étais dans cet état d’esprit. Je montais très régulièrement aux entraînements sous sa coupe. Avant un stage en équipe de France U19, il m’a dit qu’à mon retour le club me ferait signer un contrat professionnel. Il m’avait dit de ne le dire à personne. J’ai ressentit toute sorte d’émotions indescriptibles. J’en profite pour le remercier. Quand j’ai signé le contrat, c’est vraiment là où j’ai pris conscience que j’intégrais le monde pro. C’était une sorte de soulagement, qui confirmait que j’avais un réel potentiel, mais je savais aussi que le plus dur commençait.

Comment a réagi ton entourage ?

Ca a été une très grande fierté, car je signais pro dans mon club de cœur, le club de la capitale, ce n’est pas rien ! On a toujours vécu sur Paris, forcément c’était émouvant. Toutes mes coéquipières de l’équipe U19 étaient  super contentes pour moi, sans la moindre jalousie. J’ai reçu un véritable soutien de tout le monde.

Dorénavant tu évolues au Havre AC, quelle est une journée type ?

Les entraînements se déroulent le matin. Nous avons un pré-échauffement en salle, avec de la musculation. Nos après-midis sont libres. Je rentre donc manger après l’entraînement. Actuellement, je suis une formation pour passer le BPJEPS (ndlr : diplôme d’état, brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport) dans le but de devenir préparateur physique ou coach sportif. Je travaille mes cours quotidiennement, dans le but de préparer ma reconversion future. Ca me permet également de me perfectionner dans plusieurs domaines.

Quel est ton sentiment avant d’entrer sur une pelouse de la D1 Arkema ?

J’ai toujours énormément d’envie d’être sur le terrain. J’ai toujours envie de démarrer le match. Si je pouvais éviter l’échauffement, ça ne me dérangerait pas tellement je suis pressée de jouer. J’ai envie de prendre du plaisir en jouant, avec un stress qui reste positif. En dehors du terrain, j’ai plutôt une personnalité calme et tendre mais une fois le coup de sifflet donné je suis une acharnée ! Je n’ai qu’une envie, c’est de gagner. Je n’ai que ça qui me passe par la tête. Par n’importe quelle manière je dois gagner, mais je suis avant tout une amoureuse du beau football. J’aime le football de qualité, les petits jeux, jouer proprement en ressortant correctement le ballon. J’aime la technique raffinée ! Du moment que l’on gagne, ça reste malgré tout l’essentiel, mais avec la manière c’est encore mieux.

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© HAC

Comment réagis-tu quand ton coach souhaite te remplacer ?

Même si je suis mal dans mon match, je me dis toujours que je vais me rattraper… Même si je suis fatiguée je veux disputer les 90 minutes, car je sais que j’en suis capable. Je travaille dur pour disputer tous les matches entièrement. J’ai les qualités pour le faire. Après si le coach décide de me remplacer, je ne peux rien faire. Ce n’est pas grave, il faut respecter son choix. Mais sortir pour de la fatigue, jamais !

Que penses-tu du développement global du football féminin ?

Depuis que je pratique le football, il y a eu une grande évolution, que cela soit au niveau des médias, de la qualité des stades, de l’augmentation des affluences. Le Mondial 2019 disputé en France a forcément contribué à développer encore plus vite le football féminin en France. Il subsiste encore une belle marge de progression. Aujourd’hui, le grand public s’y connait un peu plus que par le passé concernant nôtre football. C’est plaisant de voir tout cet engouement.

Quelles sont les clés de la réussite pour atteindre le plus haut niveau et surtout y rester ?

Travail, hygiène, détermination et professionnalisme. Ne pas sortir le soir, bien manger, bien boire, soigner son sommeil, c’est un peu le travail transparent pour tenir le rythme. J’associe le travail avec le professionnalisme. Il faut être assidue, appliquée lors des échauffements, prévenante vis-à-vis des blessures, être performante sur les terrains. Sans la détermination, on n’est rien. Il faut avoir la dalle, les crocs, l’envie de montrer ses qualités.

Tu es éloignée des terrains depuis plusieurs mois, compliqué à vivre ?

Ça me brise le cœur… J’ai une blessure avec des complications (ndlr : fracture du 5e métatarse, comme Neymar, subie lors de son premier match en D1F avec le HAC), sans avoir une réelle date de retour. C’est ça le plus dur à vivre, le fait de ne pas savoir quand je pourrais rejouer. Cette blessure est sans fin, car j’ai subi une rechute en décembre. Je suis une passionnée , c’est même mon métier, c’est donc très compliqué à vivre. Ne pas pouvoir aider mes partenaires (ndlr : lanterne rouge en D1 Arkema) alors que je suis une recrue, c’est terriblement frustrant. On attendait beaucoup de moi et au final je fais une saison blanche (ndlr : 2 matches, 1 but). Ce n’est pas facile, mais j’apprends beaucoup sur moi avec cette épreuve, mais également sur qui sont les vrais amis… Quand on parle de hauts et de bas, je suis en plein dedans ! Il faut avoir la force mentale pour s’entraîner quand on est blessé, car le temps est interminable. Voir les autres filles s’entraîner, les écouter parler des matches… Ca m’endurcit, je me dis qu’il ne pourra m’arriver rien de pire après !

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© UEFA