Interviews

DAVID BECHKOURA

Par Rédaction 13 mai 2021

Cette saison est particulière avec la crise sanitaire. De ce fait, as-tu adapté la programmation de tes entraînements ou es tu resté fidèle à ta méthodologie ?

Depuis plus d’un an, nous traversons une période très compliquée sur le plan sanitaire, qui touche beaucoup de secteurs, y compris le sport. Grâce au statut de haut-niveau accordé aux centres de formation, on mesure aussi la chance que l’on a de pouvoir poursuivre notre métier. On a conservé notre trame de travail habituelle, du lundi au samedi. Nous avons également pu disputer quelques matchs amicaux face à d’autres centres de formation, mais cela ne remplace pas les rencontres de championnat avec les émulations qui auraient pu en découler.

Comment as-tu maintenu la motivation chez les jeunes ?

L’an dernier, le premier confinement a été plus compliqué à vivre. Aucun d’entre nous n’avait jamais vécu cela de sa vie ! A partir du moment où les pros ne jouaient plus aussi, nous avons vite compris que nous ne reprendrions pas la compétition. Après les vacances de l’été dernier, nous avons pu reprendre le chemin des terrains. Les garçons ont compris que c’était une période particulière. Toutefois, ils étaient très heureux de pouvoir retaper dans le ballon, car ils sont tous très passionnés par football.

Malgré cela, on voyait que la crise sanitaire n’allait pas en s’arrangeant. Nous avons donc essayé de les motiver comme des sportifs de haut-niveau, en faisant preuve d’attention pour eux, tout en les préparant comme ci on allait reprendre le championnat à tout moment, ce qui a d’ailleurs failli se produire. Mais en observant les autres corps de métier, nous étions de plus en plus convaincus que le championnat ne reprendrait jamais.

Pour combler ce manque, nous avons disputé des matchs amicaux contre d’autres équipes de clubs professionnels. Nous avons affronté à deux reprises la réserve de l’OGC Nice. Il n’a toutefois pas été aisé de trouver des équipes et des terrains pour jouer régulièrement, Monaco étant éloigné géographiquement des autres clubs professionnels situés dans le Sud de la France.

Nous n’avons pas trop rencontré de difficultés pour maintenir en éveil nos joueurs, car ils ont pu conserver leur rythme habituel entre les cours à l’école et les entraînements. La principale difficulté se situe au niveau de la gestion des joueurs arrivant en fin de contrat et pour ceux passant des examens scolaires.

Nous avons mis en place beaucoup de plans sanitaires autour des joueurs ce qui a engendré des interrogations sur cette infection qui entraîne beaucoup de décès. Nous avons taché de les rassurer en les accompagnant au quotidien.

@AS Monaco

Ton objectif est-il atteint lorsqu’un jeune de l’équipe réserve joue avec l’équipe professionnelle ?

Lorsqu’on est entraîneur d’une équipe réserve d’un club professionnel, des U19 ou bien des U17, on doit se mettre au service du club pour amener les joueurs au plus haut niveau.

A l’AS Monaco, notre véritable chance est d’avoir un propriétaire qui possède deux clubs professionnels ; à savoir l’ASM et le club belge du Cercle Bruges. Les jeunes ont ainsi un double projet. Ils peuvent aller s’aguerrir à Bruges s’ils ne sont pas encore prêt pour jouer avec l’équipe fanion de Monaco (comme Biancone), ou bien intégrer directement l’équipe première de l’ASM (comme Badiashile, Matsima, Millot, Matazo). C’est donc une double chance ! Deux belles alternatives avec de bons objectifs.

Lorsqu’un jeune redescend en équipe réserve après avoir côtoyé l’équipe professionnelle, mets-tu en place un plan d’intégration particulier pour le maintenir motivé ?

Déjà pour aller jouer avec les pros, il faut y aller dans de très bonnes conditions, en étant stable et armé dans la tête. C’est important de bien se construire et de savoir gérer ses émotions. Il faut bien évidemment être prêt sportivement pour pouvoir subir cette pression du plus haut niveau.

Redescendre en équipe réserve doit permettre d’engranger du temps de jeu, il faut prendre cela comme une réelle opportunité. Généralement, je m’entretiens avec les joueurs afin de définir ensemble les objectifs attendus. Leur présence et leur expérience doivent être un moteur pour adopter la bonne attitude. Ils arrivent ainsi à véhiculer ce que l’on attend d’eux.

Il ne faut pas non plus que cela se produise trop souvent, sinon ils peuvent se lasser, ce qui peut également se comprendre. A partir du moment où l’on goûte à la L1, on a envie d’y retourner ! Mais il vaut mieux parfois prendre du temps de jeu à l’échelon inférieur plutôt que de ne pas jouer du tout. Globalement, les jeunes joueurs savent ce qu’ils ont à faire, ce sont des compétiteurs.

@AS Monaco

Quelle est la principale évolution que tu as pu constater dans le jeu ces dernières années ?

On tend à utiliser des systèmes hybrides. On peut commencer un match avec quatre défenseurs puis finir avec seulement trois. Il est de plus en plus fréquent de changer de poste pendant un match. On veut amener aux joueurs une diversité de jeu, de système. Tactiquement il y a une déformation du système qui se fait au fil du match, tant offensivement que défensivement.

Instaures-tu un système de jeu en fonction de celui utilisé chez l’équipe pro de l’ASM ou bien en fonction des équipes adverses rencontrées ?

J’essaye de m’adapter à ce que propose l’entraîneur de l’équipe première. Nous sommes en formation, on essaye d’apporter plus de bagages aux joueurs : technique, tactique, athlétique, on est là dans le développement, c’est un passage obligé. On essaye de tendre vers le système que peuvent employer les pros. A-t-on les joueurs pour le faire ? O ne recrute pas les joueurs pour les intégrer dans un sytsème, mais pour les faire progresser pour qu’à un moment donné ils puissent s’intégrer dans tous les systèmes qui existent.

Sur quels plans ton métier d’entraîneur a-t-il le plus évolué ?

Sur la méthodologie de travail, avec l’apparition des GPS et le Live. Lorsque j’exerçais au PSG, nous étions les premiers à utiliser les GPS sous l’ère de Carlo Ancelotti. Le travail intégré fait partie du football moderne, sans oublier d’apporter du travail complémentaire au joueur. L’analyse des données en live permet de travailler avec précision sur la charge de l’entraînement. Tout ceci permet d’élaborer minutieusement nos séances d’entraînement.

L’analyse vidéo à l’entraînement ou en match prend également une place prépondérante pour faire progresser le joueur. Visionner ses prestations lui permet de prendre conscience des points à améliorer, de l’impliquer dans son projet. En résumé, on essaye de donner du sens à son travail.

Notre quotidien est rythmé par l’ordinateur, la tablette, le téléphone. On recueille et on partage des informations, à l’aide de plateformes prévues à cet effet. Le but est d’optimiser la , mais aussi de prévenir les éventuelles blessures.

La data est également partout aujourd’hui, dans tous les domaines d’un club, dans le recrutement, les expected goals, les estimations et dans la prise de décision. J’aime m’ouvrir aux nouvelles technologies. Je prends tout cela comme un outil, que je dois savoir associer avec le ressenti de mon expérience. Les joueurs adhèrent car ça donne une cartographie de la semaine, ça nous aide également à faire des meilleurs choix tout en gardant cette sensibilité.

@AS Monaco

Toute cette technologie n’est-elle pas génératrice de stress supplémentaire pour les jeunes joueurs ?

Non, car la nouvelle génération vit avec ça depuis longtemps. Ils vivent le football sur les consoles. Par contre, j’aimerais qu’ils soient plus en éveil lorsqu’ils regardent des matchs, car je ne suis pas sûr qu’ils observent leur futur métier en se posant les bonnes questions. Les jeunes joueurs regardent tout ce qui se passe au très haut niveau, mais ils devraient se tourner aussi vers ce qui existe en L2, en N1, voire même en N2 ou N3, car le vrai aboutissement de leur projet sera déjà de jouer et de vivre de leur métier. Beaucoup d’appelés pour peu d’élus…

Quel est ton opinion sur les contrats pros signés dès l’âge de 16 ans ?

Avec cette évolution là, j’aurais aimé un contrat unique de formation afin que tous les joueurs possèdent le même contrat, avec peut-être des bonus différents par rapport aux statuts des joueurs, comme le fait d’être international ou non. A un moment donné, le contrat pro serait mis au centre du projet pour intégrer dans la foulée le groupe professionnel. C’est ma vision des choses.

Aujourd’hui tout va plus vite, les joueurs veulent signer rapidement avec bien souvent des contrats anticipés. On oublie le sens d’aller chercher les choses par le travail, pour à un moment montrer son vrai potentiel. Le football en sortirait gagnant.

Quels sont les sujets de discussion lorsque tu croises un joueur que tu as formé ?

Je garde le contact avec de nombreux joueurs. Pour certains, ils sont devenus parent avec une très belle carrière, pour d’autres ils ont pris une autre direction comme le fait d’être éducateur. On se remémore le passé, on échange sur les nouveaux codes de la jeunesse actuelle, et ça me rajeunit pas ! Je suis toujours heureux de passer du temps avec eux, de pouvoir les féliciter pour leur parcours de joueur et d’homme.

Lors de leur formation, ils ne comprennent pas toujours ce qu’on veut leur transmettre, mais ils savent plus aujourd’hui ce que j’attendais d’eux hier, à savoir réussir par le travail, la discipline et la détermination. Mon but ultime est d’élever le compétiteur pour trouver le plaisir dans la victoire. Je veux amener chaque jeune joueur à réfléchir sur son métier.

Je suis très heureux de les retrouver aux quatre coins du monde. Certains garçons sont devenus champions du Monde et d’Europe, je ne peux qu’être fier de leurs parcours, mais aussi fier de ceux qui ont réussi leur vie d’homme. Et ça, c’est le plus important.

 

Qu’est-ce qui te pousse chaque matin à transmettre ton savoir ?

Je suis très content de faire mon métier, car c’est quelque chose que j’aime. Il n’y a pas beaucoup de personnes qui se lèvent chaque matin pour faire ce qu’ils aiment. Je suis une personne qui a de la chance, je la mesure tous les jours. Mon parcours est atypique. Je suis issu du monde amateur. J’ai été joueur de national, j’ai passé tous les diplômes fédéraux, dont celui de formateur. Je suis entré au PSG, puis à Monaco. J’ai obtenu le BEPF qui peut me permettre d’entraîner des équipes professionnelles.

Je n’ai pas le droit de ne pas être heureux, j’essaye de donner ce que j’ai en vie de donner, car je suis un passionné, quelqu’un qui donne beaucoup. Si je donne beaucoup, c’est simplement parce que j’ai envie que les joueurs réussissent. Je connais tellement l’envers de la médaille, que j’essaye de tirer le maximum des joueurs pour qu’ils puissent vivre de leur passion. Ils ne seront peut être pas tous en L1, peut être pas tous champions du Monde, mais même N1 ou N2, on peut vivre du football et réussir sa vie d’homme. C’est important de transmettre des valeurs. Mes parents m’ont éduqué avec des valeurs le travail, je sais d’où je viens. J’essaye de donner de mon expérience, pour réussir l’accompagnement d’un grand nombre de joueurs au plus haut niveau.

J’ai tellement envie que les joueurs comprennent l’importance de tout ce qu’on met en place pour qu’ils y arrivent. Un jeune joueur galvaude parfois cette période là, en se pensant plus fort qu’il n’est, que rien ne peut lui arriver. Ma mission est aussi de leur rappeler que ça ne sera pas forcément la vérité pour tout le monde.

@Le Parisien

En mai 2020, tu as obtenu ton BEPF (ndlr : Brevet d’Entraîneur Professionnel de Football). As-tu dorénavant de grandes ambitions ?

J’ai cinquante ans, dont quinze années passées à la formation de deux très grands clubs. Je pense avoir contribué à faire progresser de nombreux joueurs, tout en les accompagnant du mieux possible. Forcément, le BEPF est un aboutissement dans le cursus de formation d’un entraîneur. C’était important pour moi d’aller jusqu’au bout de ce que j’avais entrepris. C’est une fierté, car je viens du monde amateur.

Au-delà de démontrer que j’ai certaines compétences, j’ai dorénavant envie d’écouter les éventuels projets qui peuvent se présenter à moi par l’intermédiaire de mes agents. Je ne vais pas cacher mes ambitions, je suis armé pour voir autre chose lorsque le moment donné sera venu.

Les plus grands clubs Européens peuvent-ils se passer de leur propre centre de formation pour performer régulièrement ?

Avec la situation sanitaire, les droits TV, et bien d’autres raisons, je pense que les clubs doivent continuer de s’appuyer sur les jeunes issus de leur centre de formation. Les jeunes joueurs ont pris une place très importante, notamment avec le développement du trading.

Le Brexit va également avoir des conséquences pour les transferts de jeunes joueurs qui pouvaient se faire en nombre vers les différents championnats anglais. Pour pouvoir aller jouer là-bas, il faudra être international ! La Premier League va devenir un championnat très fermé, voire élitiste. Les clubs anglais vont devoir se tourner davantage vers leur formation.

Le football français reste toutefois l’un des principaux pourvoyeurs de jeunes joueurs pour les plus grands championnats. Il faut donc que la formation perdure afin que les jeunes puissent alimenter les très grandes équipes de demain !