Interviews

TANGUY LE SEVILLER

Si vous êtes un accro de la chaîne L’Équipe, son visage ne vous est très certainement pas inconnu. En effet, Tanguy Le Seviller y commente régulièrement les matchs et joue le rôle de consultant lors de certaines émissions. Pour Billion Keys, il dévoile les différentes clés de la réussite du métier de journaliste. À vos stylos !

Par Rédaction 03 juin 2021

Tanguy, quel parcours as-tu emprunté pour devenir journaliste sportif ?

Il n’y a pas vraiment de ligne directrice. Chacun possède son parcours personnel. Lorsque j’étais au lycée, je voulais intégrer les grandes écoles de journalisme par la suite. J’avais vu qu’il fallait un BAC+3 pour prétendre y entrer. Après mon BAC, j’ai fait un BTS. Je pouvais ensuite aller en Licence pour valider ma 3e année. Malheureusement, je n’ai pas été pris en Licence.

En parallèle, ma mère a reçu un CV d’un candidat qui voulait se lancer dans l’immobilier et qui avait fait une école de journalisme. Elle m’a montré son parcours et m’a incité à contacter l’école dont il était issu. Finalement, j’y ai passé un concours, qui fut positif. Comme c’était une école privée sur Paris, ils ont tendance à dire OUI lorsqu’on fait un chèque !

J’y ai obtenu une sorte de Bachelor après une année de cours. J’aurais pu ensuite aller sur le marché du travail, mais j’estimais manquer encore de capacités. J’ai donc refait deux années supplémentaires dans une autre école de Paris pour me perfectionner. J’ai intégré L’Équipe en parallèle de mes cours, où j’ai réalisé des Lives commentés pour le site internet du journal. Petit à petit, j’y ai fait mon nid !

Comment as-tu fait pour intégrer L’Équipe ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, à cette époque j’envoyais beaucoup de mails aux différentes rédactions. J’avais notamment contacté Eurosport et L’Équipe pour devenir « Liver », et la personne chargée du recrutement chez la second cité m’a contacté pour savoir si j’étais disponible pour commenter un samedi 08 août le match de L1 Montpellier contre Monaco ! Elle ne m’avait jamais eu en entretien ni au téléphone ! J’ai accepté de suite la proposition et ça a débuté ainsi…

Depuis, ils ont davantage axé leur recrutement envers des personnes plus expérimentées, offrant davantage de garanties.

Est-ce le Graal pour un jeune journaliste d’intégrer L’Équipe ?

J’étais fier d’y travailler, je ne vais pas le cacher, même si je ne commentais « que » des matchs sur internet. Je n’écrivais pas des articles qui apparaissaient en Une de L’Équipe ! J’étais quand même assez lucide sur mes réelles tâches. J’étais content d’être rémunéré « pour regarder du football » ! C’était un petit kif, un rêve d’enfant qui se réalisait.

Comment s’est déroulée ton évolution au sein de la rédaction ?

Tout n’a pas été simple. J’ai fait une année de Lives commentés. Il m’arrivait de le faire pendant mes heures de cours, ce qui m’a valu quelques remarques de la part de mes professeurs ! J’ai ensuite demandé à faire un stage au sein de l’Équipe et c’est ainsi que l’on m’a orienté vers les sélections de pigistes pour France Football.

Après une journée de tests, j’ai bien tenu le rythme exigé. J’ai été intégré au pôle pigiste de France Football en août 2008. Au final en 2011, une nouvelle direction a pris les rênes du journal, en changeant pas mal de choses. Les pigistes ont été mis sur la touche. Par le biais d’une amie travaillant dans le même bâtiment, j’ai pu intégrer la chaîne de télévision de L’Équipe. À l’époque, il s’agissait de petits JT de quinze minutes. Je bossais sur ces émissions en montant des petits sujets.

Suite à cela, je me suis fait repérer pour intégrer L’Équipe du Soir, au sein de l’équipe de conception de l’émission. J’y ai beaucoup appris. J’étais désireux de commenter des matchs à la télévision, mais c’était compliqué. J’ai donc proposé aux responsables de couvrir le Foot à 6, suite aux sollicitations d’un ami, Elie Dohin (ndrl : passé par Châteauroux, Ajaccio, Boulogne) et c’est ainsi que j’ai occupé mes premiers rôles de consultant. J’ai également commenté certaines rétrospectives sur l’ASSE notamment ou des archives sur la L1. C’est ainsi que je suis apparu peu à peu à l’écran. J’ai également fait quelques piges chez beIN Sports suite à cela.

Quels sont les avantages et les inconvénients du métier de journaliste ?

Les contraintes me concernant sont surtout liées à l’emploi du temps, car je suis souvent amené à travailler le week-end. Ça peut parfois créer quelques tensions au sein de ma famille, car je ne peux pas toujours être présent lors de rassemblements. Il y a des missions professionnelles que je ne peux pas manquer, car c’est trop important. Ça reste une petite contrainte, car je suis extrêmement content de bosser au contact du football.

D’un autre côté, je suis aussi très libre. Étant à la pige, je ne suis pas dans l’obligation d’accepter toutes les sollicitations. Ne pas travailler veut également dire ne pas être payé. C’est à tenir en compte quand on est pigiste. Mais on a le loisir de choisir quand on souhaite travailler.

Travailles-tu exclusivement pour L’Équipe ?

J’ai complètement arrêté de collaborer avec France Football. J’ai bossé pour So Foot, il y a encore quelques mois, mais j’ai dû stopper n’ayant plus trop de temps. Pourtant, j’adore faire des interviews sur les Français de l’étranger.

Je travaille pour plusieurs chaînes de télévision, comme RMC Sport notamment, pour tout ce qui est Premier League, Ligue des Champions, Europa League… La saison est terminée, donc pour le moment ils n’ont pas besoin de mes services. Avec le Covid-19, ce fut plus compliqué pour bosser avec beIN Sports, mais j’ai quand même effectué quelques piges.

J’essaye toujours de multiplier les employeurs, car il ne faut pas « mettre tous ses œufs dans le même panier » !

La saison fut-elle compliquée à vivre avec la crise sanitaire ?

Contraignant surtout lors du premier confinement en 2020. Toutes mes activités s’étaient arrêtées d’un coup. Toutes mes programmations se sont décommandées les unes après les autres… Je me suis inscrit en urgence à Pôle Emploi. J’ai dû faire les démarches administratives, puis m’actualiser tous les mois. À L’Équipe, ils ont été très cools, car ils nous ont permis de toucher le chômage partiel.

Une fois le confinement terminé, la saison a pu reprendre « normalement » pour ce qui était de la télévision, bien qu’il n’y avait personne dans les stades. Les matchs étant diffusés, il y avait du boulot !

Comment s’articule une journée type chez L’Équipe ?

Si je bosse sur L’Équipe du Soir, nous arrivons vers 14 heures, en tout cas pour les assistants de l’émission. Il y a une conférence de rédaction vers 15 h 30 pour définir les thèmes qui seront abordés le soir. Chacun propose ses thèmes. Nous en discutons, nous en débattons… On fait la rivière comme on dit ! Dans la foulée, chacun se met sur ses tâches bien précises. On délimite bien les sujets. Il faut alimenter du mieux possible pour que le présentateur de l’émission puisse montrer des tableaux, des chiffres, une action bien particulière…

Pendant l’émission, je peux être amené à bosser en régie, auquel cas on ne bosse pas sur les thèmes, mais on appelle les chroniqueurs pour avoir leurs avis au préalable, afin de faciliter la préparation. On s’occupe des tweets à mettre à l’antenne, des génériques… Des tâches assez basiques, mais très importantes.

On va manger juste avant la première émission qui débute à 19 h 45. Rebelote pour la seconde émission. En général, on termine notre journée entre minuit et minuit et demi.

Quelles sont les clés de la réussite pour réaliser une bonne émission ?

Un thème, pour qu’il soit généralement bien retenu, il faut que l’on pose une question fermée avec pour réponse soit oui ou soit non. Ce qui permet de lancer un débat, avec des chroniqueurs qui s’expliquent avec des arguments. Il faut donc des débats, sans que ça parte dans les tours ! Sinon ce n’est pas très audible et pas très agréable à regarder pour le téléspectateur. Il nous arrive également d’apprendre des choses pendant l’émission en appelant des joueurs ou des coachs. Il n’y a pas vraiment de recette miracle pour être satisfait d’une émission, ça dépend vraiment de l’humeur et des sujets abordés.

Quel est l’article parfait pour la presse manuscrite ?

Il n’y a pas de mauvaise idée. J’ai toujours essayé de proposer des thèmes qui me plaisaient. J’aime trouver des angles qui changent de ce que l’on peut retrouver habituellement. Je me dis toujours : « il n’y a pas de mauvais client, il n’y a que des mauvaises questions ». Il y a toujours un moyen de contourner la timidité d’un joueur, il suffit de trouver la bonne porte d’entrée. C’est certain que face à N’Golo Kanté, les portes vont être verrouillées à double tour ! Mais j’essaye toujours de poser des petites questions marrantes pour avoir la confiance du joueur et ainsi qu’il confie des choses qui sortent un peu hors du commun, des choses un peu plus légères.

J’aime bien avoir une bonne attaque, un bon début de papier, et une bonne chute. Quand on arrive à allier les deux, c’est un papier plutôt réussi. J’ai le souvenir d’un papier que j’avais fait sur Jérémy Berthod (ndlr : ex-joueur de l’OL) pour France Football, alors qu’il jouait en Norvège. J’avais débuté l’article sur le ski et conclu sur ce même thème. Il y avait eu de très bons retours.

Peux-tu nous livrer également les clés de la réussite pour être un bon journaliste ?

La persévérance, c’est indéniable ! Preuve en est, nous ne sommes plus beaucoup à exercer cette profession parmi tous mes camarades d’école. Il faut être curieux, j’ai toujours un œil sur les Français qui jouent un peu partout à l’étranger. Il faut toujours être à l’affût de la moindre information, en prise avec l’actualité, ce qui peut être embêtant pour mes proches, car j’ai toujours le nez dedans ! Il faut également être passionné, ne pas travailler pour travailler.

Est-ce difficile de rester neutre lorsque l’on doit commenter une équipe que l’on adore ?

Je supporte beaucoup d’équipes ! Par exemple, j’étais pour le RC Lens lorsque j’étais plus petit. J’adorais le maillot de cette équipe, que l’on m’avait d’ailleurs offert. L’année d’après, ils étaient devenus champion de France de L1. J’aime le PSG, car je suis originaire de la région Parisienne. Mon papa m’emmenait régulièrement au Parc des Princes. Je suis également Dijon, car ma maman est originaire de cette ville. Mon grand-père m’emmenait voir les matchs du DFCO. Je suis attentivement Auxerre, car mon pote Rémy Dugimont y joue en L2. Quand il jouait à Clermont, j’étais pour Clermont ! J’ai un penchant aussi pour Arsenal.

J’arrive à rester neutre, car je suis assez lucide sur ce qu’ils font. On perd toujours malgré soi, ce côté un peu supporter au fil du temps. Par contre, quand il s’agissait d’encourager le PSG lors de la dernière demi-finale de C1, j’étais comme un dingue ! Mais je n’ai pas de mal à dire, ce qui est bon ou moins bon quand une des équipes que j’apprécie joue un match. Ça ne me pose aucun problème.

Parfois, certains débats sont acharnés à l’antenne. Est-il compliqué de faire retomber la pression après le direct ?

Ça dépend un peu des personnes. Comme dans tout job, certains s’apprécient plus ou moins que d’autres. Une fois le direct terminé, les tensions s’estompent et parfois les débats peuvent également continuer. En général, les choses rentrent dans le rang.

Le niveau de la L1 est souvent remis en cause par les journalistes sportifs. Ton avis sur cette espèce de « Je t’aime, moi non plus » ?

Tout d’abord, c’est le championnat que je suis le plus parmi les cinq grands championnats européens. Même si l’on dit souvent qu’il s’agit de la « cinquième » roue du carrosse. C’est celui qui nous amène le plus de débats, le plus d’infos. C’est celui qui nous fait « manger », il ne faut pas se le cacher. On ne va pas faire des débats sur Everton ou Las Palmas ! Même si un évènement se passe à Lorient ou à Dijon, on en parlera forcément.

Sur le niveau, je ne considère pas la L1 comme un sous-championnat. Je compare souvent le douzième de Premier League par rapport au douzième de L1, et je me dis que le club français n’a pas forcément grand-chose à envier au club anglais. Ça se vaut à peu près. Par contre, il est certain que concernant les locomotives il y a un écart de niveau.

L’UEFA Euro 2020 se profile. Quelles sont tes équipes favorites ? Auras-tu une mission pendant cette compétition ?

J’ai effectivement la chance d’avoir un contrat en CDD avec L’Équipe lors de cette compétition. J’ai commencé à travailler sur l’émission dirigée par Smail Bouabdellah. Je suis assistant d’édition, donc je prépare l’émission. A priori, je ne serai pas sur le plateau. J’ai commenté un match de préparation de la Turquie. Je vais en faire un de l’Allemagne samedi soir. Nous sommes en cabine dans les locaux de L’Équipe. J’espère bien évidemment en faire d’autres. L’Euro commence lundi, les possibilités s’amenuisent forcément.

En ce qui concerne les favoris, la France avec Benzema arrive peut-être un peu au-dessus du lot. Il ne faut pas se fier pour autant aux résultats des matchs de préparation. Il faudra également se méfier de l’Allemagne et surtout du Portugal. Quand on regarde la formation portugaise, ils ont de sacrés cadors ! J’espère que ça va être une belle compétition qui en plus se déroule dans toute l’Europe. Il y aura un peu de public, c’est top ! J’espère que les Bleus iront loin bien évidemment.

Pour clore notre entretien, quelles sont tes principales anecdotes vécues en tant que journaliste sportif ?

Lorsque j’étais jeune journaliste en 2013, j’ai reçu une accréditation du Team Manager du PSG pour couvrir la rencontre au Camp Nou face au FC Barcelone. J’y suis allé en train avec plusieurs journalistes. On a passé la journée à Barcelone. Grâce à nos connaissances de chez beIN Sports, nous avons eu la possibilité de fouler la pelouse avant la rencontre. Ce souvenir est incroyable. J’ai même pris en photo ma main tenant des brins d’herbe ! Nous nous sommes retrouvés dans les couloirs du stade à une quinzaine de mètres des vestiaires. Sans faire exprès, j’ai ouvert une porte derrière laquelle se trouvait toute l’équipe du Barça qui rentrait dans son vestiaire. Le match fut d’un superbe niveau. Pastore avait ouvert la marque, avant que les Espagnols égalisent.

Avec des collègues, chaque année on essayait de se rendre dans un stade un peu mythique. Nous sommes allés assister au derby de Glasgow entre le Celtic et les Rangers en coupe de la League écossaise, en 2015. On s’est retrouvé à Hampden Park. La moitié du stade était verte, l’autre était toute bleue. Le niveau n’était pas fou, le terrain était plein de boue. L’ambiance était par contre fantastique. Je me souviens qu’on avait dormi dans cinq mètres carrés chez un journaliste local ! Le genre de moment toujours sympa à vivre avec des potes qui ont la même passion.


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